- BORNOU
- BORNOUL’empire du Bornou, le plus important des États du Soudan central, fut particulièrement remarquable: par sa précocité (le royaume du Kanem dont l’État bornouan est directement issu se développe à partir du IXe siècle après J.-C.), par son extension géographique (aux périodes de splendeur, il englobe la totalité de la cuvette tchadienne, ainsi que le pays Haoussa à l’ouest et le Sahara oriental au nord), par sa longévité (il se perpétue durant plus d’un millénaire, du IXe au XXe siècle). Le Bornou eut un rôle primordial dans le développement des échanges économiques et culturels entre le Soudan, la Méditerranée et l’Orient. Il doit surtout son prestige à ses institutions politiques, le modèle politique bornouan ayant très largement contribué à l’organisation des autres États du Soudan central (royaumes Haoussa, Baguirmi).Le royaume du KanemLes récits légendaires, que corrobore l’histoire, font remonter l’empire bornouan à l’ancien royaume du Kanem qui se forma dans les régions nord et nord-est du Tchad. Comme de nombreux peuples d’Afrique occidentale (les Yoruba, les Peuls du Fouta-Djalon), les Kanouri se donnent une origine yéménite. Un homme venu du Yémen, du nom de Sef, aurait été le fondateur de la dynastie royale, la Sefuwa Magumi, qui régna jusqu’au milieu du XIXe siècle. Les faits infirment une telle théorie.Alors que l’islam ne se propagea au Kanem que dans le courant du XIe siècle, c’est en effet dès le IXe qu’au sein du clan Magumi le lignage Sefuwa réussit à imposer son autorité aux autres clans. Le royaume atteint son apogée aux XIe et XIIe siècles. Sous l’impulsion de Dunama (1097-1150), une série de conquêtes militaires aboutit à un élargissement territorial. Vers 1200, l’État kanémien englobe le Kanem, le Bornou, le Kaouar et le Djado, et contrôle étroitement le Sahara oriental jusqu’à Mourzouk, le Borkou, le Fitri, atteignant les royaumes Haoussa à l’ouest. Le roi (maï ), établi dans sa capitale à Njimi, au Kanem, est assisté d’un conseil comprenant les douze principaux officiers du royaume. Il règne sur le peuple Kanembou et sur des tribus vassales. Le contrôle des puits sahariens le rend maître des relations commerciales entretenues avec la Méditerranée et l’Orient. Il noue des rapports politiques avec l’Égypte et avec les Hafsides de Tunis. Le prestige de la Sefuwa est grand dans toute l’Afrique méditerranéenne: il est fondé sur la puissance militaire et sur le rayonnement culturel du royaume kanémien.Du milieu du XIIIe à la fin du XIVe siècle, le royaume traverse une période sombre. Les troubles résultent de querelles au sein de la dynastie, de rivalités entre clans, de menaces extérieures. La principale attaque vint des Bulala qui constituaient soit un clan rival, soit une tribu vassale de la Sefuwa. Installés à l’est du lac Tchad, les Bulala se révoltèrent à la fin du XIVe siècle, envahirent le Kanem et renversèrent la dynastie régnante. Les survivants de la Sefuwa Magumi abandonnèrent le Kanem et vinrent se réfugier à l’ouest du Tchad où se forma l’empire du Bornou.La formation de l’empire du BornouLe Kanem perdu, la dynastie se reconstitua dans la riche région du Bornou. Il lui fallut tout d’abord subjuguer les Sô, population qui ne nous est connue qu’à travers des récits légendaires et des vestiges archéologiques et qui à cette époque occupait le littoral occidental et méridional du lac Tchad. Sous la direction de monarques capables, le nouveau royaume du Bornou redevient, vers la fin du XVe siècle, une puissance soudanaise de premier plan: les conquêtes reprennent à l’ouest (pays Haoussa) et au nord (Aïr). Ali Ghajedeni, qui régna de 1470 à 1500, fonde une nouvelle capitale au nord du Bornou, Birni Ngazargamo; il entreprend la reconquête du Kanem et s’assure le contrôle des pistes sahariennes. Il se heurte au Songhaï dans ses tentatives de domination des États haoussa et de contrôle des routes commerciales qui traversent le Soudan d’est en ouest.L’apogéeÀ partir du XVIe siècle, l’État bornouan traverse une longue période de splendeur. Sous le règne d’Idriss Alaoma (1580-1617), il connaît son apogée.Les conquêtes d’Idriss Alaoma et de ses prédécesseurs donnèrent à l’empire les limites qu’il garda jusqu’au début du XIXe siècle. Le royaume proprement dit correspond à la région du Bornou, essentiellement peuplée de Kanouri mêlés à des Khoyam, à des Arabes et à des Beddés; il s’y ajoute des États vassaux comme le Kanem, le Baguirmi, les principautés Kotoko, etc. Les marches de l’empire sont inégalement contrôlées: vers le nord, l’empire s’efforce d’imposer son autorité aux nomades: Touaregs Kel Owi, Teda et Daza. Vers le sud, il tente d’asservir les populations païennes. Vers l’ouest, il essaie de contrôler les royaumes Haoussa.Les institutions politiquesLe système politique bornouan revêt certains caractères qui l’apparentent au féodalisme. À la tête de l’empire est placé le souverain ou maï . Cette fonction est héréditaire au sein de la ligne masculine de la Sefuwa Magumi. Le principe d’hérédité est cependant tempéré par le choix: s’il s’est assuré un pouvoir incontesté, le maï peut désigner de son vivant son successeur qui prend alors le titre de chiroma ; sinon, c’est le Grand Conseil qui désigne le nouveau monarque parmi les fils du maï, chacun de ceux-ci pouvant prétendre au trône. L’étiquette est stricte et le cérémonial riche. Le souverain dispose d’un pouvoir, qui peut être absolu si sa personnalité est forte, ou réduit s’il se laisse guider par le Grand Conseil ou les intrigues de sa cour. Les membres de la famille royale sont détenteurs de titres et d’influence: la reine mère (magira ), la première épouse (gumsa ), les princes et les princesses (maïna ). Pour contrebalancer les pressions venant de sa famille ou des nobles du Grand Conseil, le souverain s’entoure de conseillers, les kogona , dont il s’assure la loyauté et la fidélité; les uns sont de naissance libre (les kambé ), d’autres sont des esclaves (les katchella ).L’administration de l’empire est assurée par des nobles auxquels le maï confie le contrôle d’un territoire déterminé. L’empire est ainsi partagé en sortes de fiefs; cependant, afin d’éviter la constitution de féodalités locales indépendantes du pouvoir central, ces charges ne sont pas héréditaires. Les principaux de ces dignitaires sont: le kaïgamma ou chef militaire, qui, responsable de l’armée, dispose d’un pouvoir immense dont il use parfois pour renverser le sultan en exercice; le yerima , gouverneur du Yeri (pays compris entre la capitale et le Mounio), qui a pour charge de défendre l’empire contre les Touaregs; le galadima , gouverneur du Galadi, c’est-à-dire des protectorats plus ou moins effectifs de l’ouest; le kadzelma , gouverneur du Kadzel, plaine occidentale du Tchad entre la Yobé et Ngigmi.Les ressources de l’État se composent à l’origine essentiellement des tributs payés par les États vassaux et les populations soumises. À partir du XVIe siècle, la fiscalité fut organisée au sein même de l’empire: dîmes perçues annuellement sur récoltes et bétail par les chefs de village, de district et de province.La justice était rendue en principe par les chefs de tribu. Cependant les dignitaires religieux, notamment le talba , première personnalité religieuse de l’empire, exerçaient une large autorité en matière judiciaire. Les liens entre la hiérarchie religieuse et le pouvoir central étaient extrêmement étroits, celle-là apportant au maï ses conseils et son soutien.L’armée joue un rôle essentiel dans la défense de l’expansion de l’empire bornouan. Elle est organisée par régiments, correspondant à des divisions territoriales ou à des groupes ethniques disposant de leur propre commandement. Outre une troupe régulière, armée parfois de mousquets, elle est composée d’une cavalerie et d’une infanterie réparties en corps de lanciers et d’archers. L’enrôlement de soldats pour chaque campagne est l’une des tâches principales de l’administration locale.Les fondements économiquesLe cœur de l’empire, le Bornou, fut riche en ressources: mil, coton, bétail. Mais l’importance économique de l’empire est due essentiellement à une situation géographique exceptionnelle. Zone de transition, le Bornou contrôlait les échanges entre le Sahel et le Soudan; il se trouvait à la croisée de routes commerciales qui traversent l’Afrique d’est en ouest et de pistes transsahariennes, voies de communications vers la Méditerranée et l’Orient. À ses voisins du Soudan occidental et au Nupe, le Bornou vendait du sel, du natron, des cotonnades, du cuivre en provenance du Ouaddaï. Il en recevait des cotonnades teintes (en provenance de Kano) et des noix de Kola (venant du Nupe).Le commerce transsaharien fut particulièrement actif. Le Bornou exportait surtout des esclaves vers le Soudan central et la Méditerranée. Et l’une des principales activités de l’armée bornouane fut d’entreprendre des campagnes de chasse à l’esclave parmi les populations païennes du Sud (Damergu, Marghi, Babur). Des oasis du Kaouar et de l’Agram, il recevait du sel et des dattes, et des pays méditerranéens, d’Égypte surtout, des chevaux, des soieries et des cotonnades, des armes de luxe.Le XIXe siècleLes XVIIe et XVIIIe siècles sont marqués par un affaiblissement de la puissance bornouane. L’activité militaire est réduite: plus de conquêtes, seulement d’épisodiques razzias parmi les populations païennes. Des souverains sans envergure laissent libre cours aux intrigues des courtisans. Les attaques des nomades du Nord (Touaregs, Teda, Daza) se multiplient. C’est un Bornou en pleine décadence qui subit au début du XIXe siècle les assauts des Peuls mobilisés dans une guerre sainte (jihad ).Les guerres peules et la fin de la SefuwaSous la conduite de Usman dan Fodio, les Peuls proclament la jihad . Dès 1805, ceux de la province occidentale se révoltent mais sont maîtrisés. En 1808, conduites par Gwoni Muktar, des troupes peules venues de Sokoto attaquent la capitale, Birni Ngazargamo, qui est mise à sac. Le maï Ahmed (1793-1810) s’enfuit vers l’est; il est obligé de faire appel à un homme originaire du Kanem, réputé pour sa piété et disposant d’une force armée organisée, le shehu (cheikh) Mohammed el-Amin el-Kanemi, ou shehu Laminu. Ce dernier se met à la tête des troupes bornouanes, reprend Ngazargamo, repousse les forces de Gwoni Muktar qui est tué (1809). Après la dernière offensive peule qui menace l’existence de l’empire bornouan, le maï du Bornou Dunama (1810-1817) consent à laisser à Kanemi une part des revenus de l’empire et transfère sa capitale non loin des rives du lac Tchad, à Birni Kabela. Le shehu construit sa propre capitale, plus au sud, à Kuka (1814). Désormais, le pouvoir effectif est détenu par ce dernier. Lorsque le Kanemi meurt à Kuka, en 1835, son fils Umar lui succède et prend le titre de shehu. Comme son père, il exerce le pouvoir effectif, le maï Ibram (1817-1846) étant cantonné dans un rôle purement honorifique. Profitant de l’éloignement de l’armée du Bornou en campagne contre Zinder, Shérif, sultan du Ouaddaï, fait marche sur Kuka; il répond à l’appel du maï qui tente d’évincer le trop puissant shehu. Les Bornouans sont battus à Kousseri (9 mars); Kuka est détruite. Le shehu s’enfuit vers l’ouest: il fait exécuter Ibram. Shérif s’installe à Ngornu durant près de deux mois, ravage le pays alentour et place Ali, parent d’Ibram, à la tête de l’empire du Bornou, puis quitte le pays. Les partisans d’Ali sont battus par Umar sur la Yo. Ali est tué. Ainsi s’éteint la dynastie Sefuwa.L’empire des KanemiLe long règne d’Umar se prolongera jusqu’en 1880. Puis ses fils deviendront shehu: Bukar (1880-1884); Ibram (1884-1885); Hachimi (1885-1893). Les institutions politiques se modifient profondément. Le régime aristocratique de l’ancien empire est liquidé. Une certaine méfiance se manifeste à l’encontre des Bornouans. Les charges de l’État sont confiées aux plus capables et aux plus sûrs: esclaves et Arabes apparaissent des instruments dociles dans les mains du souverain. Ainsi, au début du règne de Umar, le premier capitaine, l’esclave fidèle Barka Gana, devient le premier personnage de l’État après le shehu; le second est Tirab, qui conduit les Arabes à la guerre et en même temps les administre avec le titre de tschima . Enfin le caractère théocratique de l’État se renforce.L’empire des Kanemi doit cependant affronter de nombreuses difficultés: il réussit mal à contenir la menace des nomades du Nord et à résister à la pression grandissante du Ouaddaï. L’autorité du shehu est d’autre part affaiblie par les intrigues et les rivalités des favoris.La dynastie n’arrivera pas à résister au choc de l’attaque de Rabah qui, venu de l’est, pénètre au Bornou et fait son entrée à Kuka. Après avoir vaincu les Bornouans et fait exécuter Kiari, fils de Bukar, Rabah s’installe à Dikoa dont il fait sa capitale (mai-juin 1894).Avec Rabah, c’est un nouvel édifice qui se développe. Le centre de gravité se déplace vers l’est, en pays Kotoko, le Bornou proprement dit étant considéré comme un territoire vassal, livré au pillage; les Bornouans ralliés sont traités avec méfiance, Rabah s’appuyant sur les Arabes. La principale force du nouvel État est son armée, nombreuse (20 000 hommes), bien équipée (de 3 000 à 4 000 fusils), organisée en bannières. Une nouvelle organisation administrative est mise en place: administration directe, des inspecteurs (nudara ) prenant le contrôle des différentes tribus.Le XXe siècleLe début du siècle est marqué par l’effondrement de la puissance de Rabah sous les coups d’expéditions coloniales françaises. Le 22 avril 1900 s’engage la bataille de Kousseri; les troupes de Rabah sont battues, ce dernier est tué. Son empire naissant s’écroule avec lui. Les puissances coloniales se partagent le Bornou: l’Angleterre reçoit le Bornou proprement dit; l’Allemagne, l’émirat de Dikoa et le pays Kotoko; la France, le Kanem et le pays du nord de la Yobé. Après la Première Guerre mondiale, le Bornou allemand sera partagé entre la France et l’Angleterre. Aujourd’hui, l’empire du Bornou se trouve partagé entre quatre États: la république fédérale du Nigeria (province du Bornou), la république du Niger, la république du Tchad, la république fédérale du Cameroun.Bornouétat du N.-E. du Nigeria; 116 400 km² avec l'état de la Yobe qui s'en est détaché en 1991; 2 596 600 hab.; cap. Maiduguri.————————Bornouancien empire qui s'étendait sur le Niger, le Kanem, le nord du Cameroun. Né probablement au IXe s., il connut son apogée au XVIe s. sous le sultan Idriss III Alaoma (1580-1603 ou 1617), prosélyte de l'islam. En 1900, son territoire fut partagé entre les Français (Niger), les Allemands (Cameroun) et les Britanniques (Nigeria).
Encyclopédie Universelle. 2012.